La présence de produits toxiques dans les couches pour bébé et l’absence de transparence des fabricants sur leur composition sont des sujets qui préoccupent de nombreux parents. Une thématique de société qui est de facto cogérée par l’Etat et les industriels. Et les parents dans tout ça ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’existe aucune réglementation sanitaire au niveau français ou européen pour les couches pour bébé. A la différence des couches pour personnes âgées (incontinence) qui relèvent, elles, de la réglementation relative aux dispositifs médicaux.
Comment justifier une telle différence de traitement quand on sait qu’un enfant consommera en moyenne 4 500 couches avant de devenir propre ? En France, depuis bientôt 20 ans, plus de 95% des bébés portent des couches jetables. Trois milliards de couches sont ainsi vendues dans notre pays chaque année sur un marché certes en recul – pour cause de dénatalité – mais qui pèse tout de même près de 800 millions d’euros.
60 Millions de Consommateurs tire la sonnette d’alarme
En 2017, le magazine « 60 Millions de Consommateurs » a l’intuition de se pencher sur la composition des couches vendues dans l’Hexagone et tire la sonnette d’alarme. L’enquête du magazine met alors en lumière la présence de multiples substances toxiques ou fortement soupçonnées de l’être sur la quasi totalité des marques analysées.
Il s’agit même d’un véritable inventaire à la Prévert : du phénoxytanole, des pesticides, des résidus de glyphosate et d’hydrocarbures, des composés organiques volatils, etc. Le phénoxytanole est un conservateur utilisé dans l’industrie cosmétique. L’ANSM (Agence Nationale de Sécurité des Médicaments et des Produits de Santé) réclame depuis 2012 (!) qu’il soit retiré de la fabrication des produits destinés au moins de trois ans…
En résumé, l’on retrouve dans les couches analysées un véritable cocktail de substances chimiques dont la présence n’est signalée nulle part aux consommateurs. Et logiquement, l’enquête de « 60 Millions de Consommateurs » sème l’émoi chez les parents mais aussi chez les industriels.
Ces derniers, en défense, ont beau jeu de faire valoir qu’avec 3 milliards de couches écoulées par an, aucune crise sanitaire n’a jamais été constatée. « S’il y avait un problème, ça se saurait », arguent-ils en en fins observateurs.
Mais l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) relèvera que « les auditions menées n’ont pas permis de connaître avec précision la nature des matériaux » utilisés, ni les « auxiliaires de fabrication comme les colles par exemple, ou les substances ajoutées intentionnellement (parfums, encres, etc.) ». Autrement dit, certains fabricants ont été incapables d’indiquer la nature précise d’une partie des composants employés dans la fabrication de leurs couches !
On commercialise donc des couches par milliards d’unités chaque année, mais sans trop savoir ce qu’il y a dedans. Un raisonnement qui fait l’impasse sur les effets à long terme de certaines substances potentiellement cancérigènes et susceptibles de se manifester des années après la mise en contact.
C’est d’ailleurs l’une des conclusions à laquelle aboutira l’ANSM qui, saisie par la Direction générale de la Santé dans un rapport publié début 2019, valide très largement l’enquête de « 60 Millions de Consommateurs ». Outre les risques de pathologies cutanées, l’Agence atteste que certains produits analysés sont connus pour être reprotoxiques et cancérigènes.
« Cette expertise a mis en évidence des dépassements de seuils sanitaires pour plusieurs substances, dans des conditions d’usage réalistes. Il s’agit de substances parfumantes (butylphényl méthyle propional ou lilial®, hydroxyisohexyl 3-cyclohexène carboxaldéhyde ou lyral®), certains hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le PCB-126, la somme des PCB-DL et la somme des dioxines, furanes et PCB-DL », lit-on dans ce rapport.
Quand l’ANSES pointait un possible « risque sanitaire »
Gérard Lasfargues, patron de l’ANSES, interrogé sur les risques à long terme, explique alors que les substances identifiées telles « les PCB, les dioxines, voire certains hydrocarbures aromatiques, peuvent présenter des risques à plus long terme comme des risques toxiques pour la reproduction voire des effets cancérogènes ».
Et l’ANSES de conclure à l’absence constatée « pour l’instant » de « risques graves immédiats » mais ne pas « exclure un risque sanitaire ». Et de « recommander » aux industriels « d’éliminer ou de réduire au maximum les substances chimiques présentes dans les couches pour bébé à usage unique ».
C’est bien le moins, dira-t-on ! Mais qu’en est-il depuis ? Les mots ont un sens. Lorsque les pouvoirs publics « recommandent » aux industriels de prendre telle ou telle mesure, il faut juste comprendre qu’aucune contrainte ne leur est imposée.
Le gouvernement impuissant face au lobby des industriels
Début 2020 l’ANSES a fait savoir qu’elle activait une restriction REACH sur les agents chimiques présents dans les couches jetables. En clair, il s’agit d’une procédure qui vise à mettre en place une réglementation au niveau européen. Sur le papier, c’est bien sûr une avancée, mais qui traduit surtout l’impuissance du gouvernement français face au lobby des industriels à prendre des mesures sur son territoire.
C’est en tout cas la conviction de Quentin Guillemain, président de « l’Association pour la santé des enfants » (APS) qui suit ce dossier depuis le début. Une petite association mais très pugnace. Joint par « La Clé des Champs », il explique : « rien n’empêche la France de s’appliquer à elle-même une réglementation qu’elle demande au niveau européen, ce serait même logique. Cependant, le poids des lobbies est tellement important que la France n’ose pas aller seule contre les grands fabricants. C’est le symbole de la fragilité de la France envers les industriels lorsque des questions sanitaires se font jour… Alors qu’il y a urgence, les autorités se bornent à parlementer avec les industriels sans jamais leur imposer la sécurité de leurs produits. C’est la faillite d’un système de protection des consommateurs et de leurs enfants. »
Quentin Guillemain et son association ne se bornent pas à commenter l’inertie des pouvoirs publics. Dès février 2019, au lendemain du premier rapport de l’ANSES, ils réclament que soient rendus publics les noms des marques de couches concernées afin que les parents puissent acheter de façon éclairée. S’ensuit un véritable marathon judiciaire. De multiples recours administratifs sont engagés, et ceci jusqu’au Conseil d’Etat. Sans succès ! Le nom desdits fabricants paraît relever du « secret défense ».
« Un scandale absolu »
Ce n’est pas tout à fait innocent. A côté des poids lourds de la grande distribution, il existe de petits fabricants soucieux de proposer des couches « écologiques » et attentives aux éléments qui les composent.
Pour Quentin Guilemain, cette absence de transparence est « un scandale absolu » et illustre la soumission des autorités sanitaires et de l’Etat aux lobbies industriels : « Nous n’avons jamais été invités aux réunions avec les fabricants de couches organisées par l’Etat sur les évolutions nécessaires suite à ce rapport et c’est inadmissible ».
Mais tout vient à point pour qui sait attendre. Le 2 juillet dernier, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) donnait enfin satisfaction à l’APS en rendant publique la liste des entreprises contrôlées en 2017 et dont certaines ont été « épinglées » par la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes).
La CADA brise l’omerta
Soit « BB Distribe, Carrefour, Casino, Cellulose de Broceliande, Doulux, E. Leclerc, Essity France, Intermarché, Kimberley-Clark, Lidl, Love& Green, Monoprix, Naty Ab ; Procter & Gamble France, Symbiose Medical, Ti Du ». Une transparence tardive mais bienvenue donc.
A un détail près. Par un singulier hasard du calendrier, ce même 2 juillet, la DGCCRF publiait une note relative aux contrôles effectués au cours de l’année 2019 et portant sur 32 références de couches pour bébés représentatives du marché national. Verdict ? « La DGCCRF confirme l’amélioration de la qualité des produits et l’absence de dépassement des seuils sanitaires ».
Aurait-on voulu « blanchir » la liste des fabricants rendue publique le jour même par la CADA qu’on n’aurait pas pu mieux faire en rendant cette dernière « caduque » au regard des « efforts » fournis depuis quelques mois par nos industriels de la couche-culotte.
Efforts qui viennent d’ailleurs d’être qualifiés de « visibles » par la revue « 60 Millions de Consommateurs » dans son numéro du mois d’octobre 2020 : « Notre nouvel essai de huit marques de couches pour bébé, écolos ou conventionnelles le montre : leur qualité sanitaire s’améliore. (…) Elles exposent bien moins qu’auparavant les bébés à des contaminants à risque tels que les dérivés chlorés, les résidus de pesticides, les composés organiques volatils, etc. »
En ce qui concerne l’information des consommateurs sur la composition des couches, le magazine relève que « si tous les fabricants n’affichent pas les composants sur l’emballage, davantage d’informations sont présentes sur les sites commerciaux ».
Une industrie qui ne manque pas de volontarisme
Sur le site grouphygiene.org, le syndicat des fabricants d’articles à usage unique pour l’hygiène, la santé et l’essuyage, les parents trouveront toute une série d’informations sur la sûreté des produits commercialisés par les professionnels du secteur. Et notamment celle-ci : « Comme tous les produits, les couches-bébés sont soumises à la réglementation REACH ». Voilà qui est rassurant !
A ce détail près, que pour l’heure, cette réglementation européenne qui vise à interdire ou limiter drastiquement les substances chimiques dans la composition des couches pour enfants n’existe tout simplement pas. C’est actuellement un projet de l’ANSES, en phase de concertation, et qui n’entrera en application au mieux qu’en octobre 2020. Mais il n’est pas interdit d’être en avance sur son temps…