Quentin Guillemain est un jeune homme multicartes : Président-fondateur de l’association APS-Enfants, cadre dans un établissement public, porte-parole national de Génération Ecologie, auteur d’un livre percutant sur les scandales de l’agroalimentaire*… Très engagé dans la protection de la santé des enfants, il n’hésite pas à croiser le fer avec les industriels : Lactalis, Danone et les fabricants de couches-culottes. Entretien.

La Clé des Champs : Vous vous êtes fait connaître du grand public en 2017 en contribuant à faire éclater le scandale du lait pour bébés contaminé aux salmonelles du groupe Lactalis. Le nombre officiel de bébés concernés est de 35 nourrissons dont 18 ont été hospitalisés. Vous, vous évoquez au moins 200 malades et au moins 60 hospitalisations sur la base du nombre de témoignages que votre association a reçu. Où en est la procédure judiciaire que votre association a lancé ?

Quentin Guillemain : Au total, 500 plaintes ont été déposées contre Lactalis, dont 300 directement par le biais de notre association APS-Enfants.

Trois juges d’instruction ont été nommés en septembre 2018. Au cours du second semestre 2019, des perquisitions, des auditions et des gardes à vue, notamment celle du Pdg de Lactalis que nous avons apprise dans la presse, ont été menées. Des réquisitions sont toujours en cours, ce qui montre que le dossier est vivant.

Votre association APS-Enfants est la pierre angulaire de votre combat pour la santé des plus petits. Comment fonctionne-t-elle ? Qui sont vos adhérents ?

Huit cent familles situées dans toute la France sont adhérentes et versent une cotisation annuelle de 10 euros. Nous n’avons aucune autre source de revenus. Nous ne recevons pas de subventions publiques pour rester indépendants. J’ai aussi versé l’intégralité des droits d’auteur de mon livre « L’Omerta alimentaire »* à l’association.

La très grande majorité de nos adhérents sont des jeunes parents, très modestes et ne vivant pas dans les grands centres urbains. Beaucoup ne connaissent pas leurs droits et ne savent pas comment faire pour les faire respecter. Ils sont totalement démunis face à une procédure en justice. Il y a une grande inégalité d’accès à la justice en France quand on ne sait pas comment elle fonctionne et quand on n’a pas les moyens de payer un avocat.

Nous sommes quatre à cinq responsables à faire tourner l’association et à animer nos adhérents.

Comment choisissez-vous les dossiers sur lesquels vous intervenez ?

Nous recevons beaucoup de témoignages de familles par mail sur de nombreux sujets. Toute la difficulté est de savoir ce que l’on fait à partir d’un témoignage reçu : Est-il vérifiable ? Y a-t-il d’autres témoignages similaires ? Sommes-nous face à un problème ponctuel ou face à un problème qui s’inscrit dans la durée ? Le problème se situe-t-il à un échelon local ou national ? Voilà toutes les questions qu’il faut se poser en amont. Cela prend beaucoup de temps car il faut sans cesse vérifier et recouper les informations qui nous parviennent.

Beaucoup d’articles de presse sont parus sur Lactalis. Quelles relations entretenez-vous avec les médias ?

J’ai noué de très bons contacts avec de nombreux journalistes qui sont aussi des parents et qui nous suivent dans la durée. Mais, il est vrai, plutôt en dehors de la presse économique ou de la presse spécialisée en agroalimentaire. Visiblement là, c’est plus compliqué de sortir des informations qui mettent en cause de gros industriels. Il peut aussi y avoir des pressions politiques comme, par exemple, le ministère de l’Agriculture qui peut rappeler des journalistes pour leur expliquer que ce que nous affirmons ne correspond pas à la réalité, que les choses ne se sont pas passées comme nous le décrivons.

Au sujet de l’administration, justement, quelles relations entretenez-vous avec elle ? C’est conflictuel ou vous arrivez à travailler en bonne intelligence ?

Le dossier des couches jetables est révélateur des relations que l’on a avec les autorités. Autorités qui, je le rappelle, sont dotées des pouvoirs de réglementation et peuvent éviter que des scandales ne durent des mois ou ne se reproduisent.

En janvier 2019, l’ANSES, donc un organisme public, a alerté sur le dépassement des seuils sanitaires pour plusieurs substances chimiques potentiellement dangereuses pour la santé des bébés dans les couches jetables vendues en France.

Face au scandale, la première réaction des autorités a été de dire que l’on va réunir tout le monde et que l’on va donner un an aux industriels pour qu’ils changent leurs pratiques. D’emblée, les autorités ont décidé de n’imposer aucune contrainte aux industriels. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les couches jetables ne sont soumises à aucune réglementation en France.

Dès février 2019, nous avons voulu connaître les noms des marques de couches concernées pour les rendre publiques afin que les parents achètent de façon éclairée. A ce jour, nous n’avons jamais pu obtenir ces noms malgré plusieurs recours administratifs, y compris devant le Conseil d’Etat ! C’est un scandale absolu.

Quelles relations avez-vous avec les grandes associations de consommateurs car ce type de dossiers relève aussi de leurs compétences ?

Le dossier Lactalis m’a permis de comprendre que les grandes associations de consommateurs peuvent être tiraillées entre un rôle de co-gestionnaire et un rôle de contre-pouvoir. Par exemple, pour le système de rappel des produits, elles l’ont conçu avec les autorités. Elles perçoivent des subventions publiques. Elles siègent dans des organismes comme le Conseil national de l’Alimentation qui conseillent des ministères ; elles participent aux nominations des responsables de ces mêmes organismes. Leur priorité est aussi de gérer leurs adhérents et, sur ce point précis, elles fonctionnent comme des entreprises. Alors quand on appuie là où ça fait mal, elles se sentent parfois visées.

Pour Lactalis, j’ai tenté de travailler avec l’UFC Que Choisir car les familles des jeunes victimes ont d’abord contacté cette association qui les a éconduit en des termes peu courtois.

J’ai échangé et travaillé dans cette affaire avec le président de l’UFC Que choisir et constaté que nous n’étions pas toujours sur la même longueur d’ondes. L’UFC Que Choisir ne voulait intervenir que sur l’indemnisation des victimes par l’industriel et non sur le volet judiciaire. Or, si on veut attaquer un industriel de manière collective, on est obligé de passer par ces associations car elles sont les seules habilitées d’un point de vue collectif. Et nous, notre objectif n’est pas l’indemnisation mais bien la sanction judiciaire car c’est le seul moyen pour que ces scandales cessent.

Travaillez-vous avec des syndicats qui sont peut-être susceptibles de vous aider ?

Très peu. Dans le dossier Lactalis, j’ai eu des contact avec la CGT qui s’intéressait aux conditions de travail au sein de l’usine où il y avait la contamination aux salmonelles mais ce n’est pas allé beaucoup plus loin.

J’ai aussi essayé de contacter la Confédération Paysanne qui a contraint Lactalis à publier ses comptes annuels pour voir si nous pouvions travailler ensemble. Mais ça n’a pas abouti alors même que notre avocate fait partie des avocats de la Confédération Paysanne.

Et avec des ONG ?

Nous avons beaucoup travaillé avec la branche française de l’ONG Foodwatch sur le dossier Lactalis. Foodwatch a d’ailleurs porté plainte avec des parents contre l’industriel. Depuis, nous sommes en contact étroit mais leurs actions se situent d’avantage au niveau de l’Europe que nous.

Je suis convaincu qu’en France, pour obtenir des résultats, il faut aller devant la justice. Il n’y a pas d’autres alternatives que la justice car on n’arrive pas à faire pression sur les autorités et encore moins sur les industriels qui nient les problèmes. Mais en France, quand on attaque des industriels devant les tribunaux, on se retrouve souvent seul…

Quel est votre prochain combat ?

Avec l’association, nous travaillons sur le scandale des laits en poudre pour bébés Gallia dans les boîtes desquelles des parents trouvent régulièrement des larves. En ce moment, je reçois un mail tous les deux jours de parents qui donnent l’alerte. On a contacté l’industriel, en l’occurrence le groupe Danone, qui, pour le moment, nie toute responsabilité.

On a envoyé une larve en laboratoire pour qu’elle y soit analysée afin de savoir à quel type d’animal elle appartient et essayer de comprendre d’où elle vient. Il n’y a que deux laboratoires spécialisés en France – les autres travaillent tous pour l’industrie agroalimentaire – qui pouvaient effectuer cette analyse en toute indépendance. L’un était trop cher pour notre association et l’autre est malheureusement fermé à cause du confinement. Il faut donc que l’on attende pour en savoir plus sur ces larves et leur provenance. C’est notre prochain combat.

* L’omerta alimentaire, on empoisonne nos enfants ! de Quentin Guillemain, paru aux éditions Kiwi en octobre 2019. Préface de Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch.