La PAC représente 9,1 milliards d’euros d’aides européennes versées chaque année aux agriculteurs français. Pour toucher leurs aides en temps et en heure, ces derniers doivent effectuer leurs déclarations sur Telepac en respectant des dates butoir comme celles du 15 mai 2020. Pour cela, encore faudrait-il que cette plate-forme fonctionne correctement…

On a frôlé le crash avec Telepac et son outil informatique de gestion Isis alors que les agriculteurs étaient en pleine déclaration pour la PAC 2020. Les bugs techniques à répétition du système Isis-Telepac ne sont pas passés inaperçus. Par exemple, sur Twitter, deux jours avant la date limite pour la déclaration des aides animales du 15 mai 2020, la FDSEA35 pressait les retardataires : « n’attendez pas, le serveur Telepac est parfois saturé » ; Vingt quatre heures plus tard, sur Twitter également, un agriculteur s’étrangle : « site en maintenance aujourd’hui… la veille de la date limite ». Le 14 mai toujours, tel autre dénonce « la maintenance du site Telepac la veille du jour où il faut déposer son dossier pour recevoir les aides en octobre… »

Du côté du ministère de l’Agriculture, et en particulier de l’ASP (Agence de services et de paiement) ça a aussi été la panique. Ainsi, dès le 24 avril, Guilhem Brun, directeur des soutiens directs agricoles à l’ASP, envoie un mail aux DDT (Directions départementales des territoires) faisant état de «  lenteurs importantes et par moment des interruptions de service » des applications Isis et Telepac.

Le serveur de secours est défaillant !

En cause ? « Le crash (défaillance physique) en début de matinée du serveur DNS réalisant les aiguillages des messages échangés avec Isis-Telepac » ! Et c’est là que l’impensable se produit après que le système ait basculé automatiquement vers le serveur de secours : le fonctionnement de ce serveur bis « s’est avéré progressivement en partie défaillant ». Un nouveau serveur est alors construit en urgence et « mis en production en milieu d’après-midi, nécessitant une coupure d’Isis-Telepac puis sa relance complète. »

L’ASP est obligée de reprendre la plume cinq jours plus tard pour tenir les DDT au courant de nouveaux problèmes techniques. Ainsi, le 29 avril, Guilhem Brun signale « des dysfonctionnements survenant sur certains dossiers de manière relativement aléatoire et prenant des formes diverses (notamment la survenue « d’erreurs inconnues »). »

Cette fois, ces problèmes ont « une cause commune située dans des dysfonctionnements ponctuels de communication entre les logiciels Oracle (base de données) et Esri (gestion des données graphiques) utilisés par Isis ». Là encore, le problème sera résolu.

10 000 utilisateurs en simultané sur Telepac

Mais le répit sera de courte durée. A partir du 11 mai, l’APS informe les DDT d’« une forte et soudaine augmentation de l’activité sur Telepac (jusqu’à 10 000 utilisateurs simultanés) qui impacte les performances de la plate-forme. »

Puis, le 13 mai, c’est l’apothéose. Alors que des serveurs supplémentaires ont été « montés et paramétrés en urgence » pour faire face à l’afflux de connexions, voilà que le prestataire informatique « rencontre (…) plusieurs difficultés imprévues successives dans le déploiement de ces infrastructures supplémentaires et ce surcroît de puissance n’est à cette heure toujours pas disponible. Ce sujet fait l’objet de la priorité la plus élevée pour une résolution au plus vite. »

L’enjeu est de taille pour les agriculteurs qui ne doivent pas être pénalisés dans leurs paiements de leurs aides PAC à cause de problèmes informatiques. « Considérant cette situation, et afin qu’elle ne nuise pas à l’atteinte d’un nombre le plus élevé possible (objectif de 75%) de dossiers disponibles dès le premier import dans Isis pour l’ouverture de l’instruction début juin, nous allons essayer de comprimer encore certains travaux dans le process d’export de Telepac et d’import dans Isis des dossiers afin de prendre également en compte dès le premier lot d’import les dossiers déposés jusqu’en début de semaine prochaine, de sorte qu’ils ne soient pas désavantagés. Nous n’avons toutefois pas encore à ce stade de certitude d’y parvenir » écrit alors l’ASP aux DDT. Charge à ces dernières de rassurer les agriculteurs sur le terrain qui veulent éviter à tout prix de percevoir leurs aides PAC avec retard.

Un discret changement de prestataire informatique

Si les problèmes techniques concernant Isis-Telepac sont plus ou moins récurrents, cette fois ils interviennent dans un contexte marqué par un changement de prestataire informatique.

En effet, en 2019, pour la première fois depuis dix ans, le prestataire qui gère le système Isis-Telepac a changé suite à un appel d’offres d’un montant de 105 millions d’euros.

La société CapGemini a ainsi remplacé la société Worldline, une ancienne filiale du groupe ATOS, qui a été brutalement remerciée après dix ans d’une gestion exclusive du système. Et par conséquent après de nombreuses modifications apportées au fil des années.

« L’attribution du marché à CapGemini a été notifiée en juillet 2019 et il était prévu qu’il y ait une transition de quatre mois entre Worldline et CapGemini. Le 6 décembre 2019, la société Worldline devait partir et, le 15 janvier 2020, 70 terra-octets de données devaient être écrasées pour rester en conformité avec la RGPD, la loi sur la protection des données » explique cette source bien au fait du dossier. Hélas, rien ne s’est déroulé comme prévu.

Le cabinet de Didier Guillaume obligé d’intervenir

« CapGemini semble avoir eu des difficultés à prendre Isis-Telepac en main. La transition avec WorldLine a dû être compliquée. Il y a eu beaucoup de problèmes à la toute fin 2019 quand CapGemini a voulu siphonner les 70 terra-octets de données du système avant que Worldline ne les détruise. Ensuite il y a eu une longue maintenance de Telepac au moment du passage de 2019 à 2020 qui a perturbé les déclarations animales » poursuit cette source.

Au point que le cabinet du ministre de l’Agriculture a dû intervenir pendant que Julien Turenne, le conseiller Agriculture de l’Elysée et de Matignon suivait le dossier au jour le jour. Il est de mémoire que, dans le passé, plusieurs ministres de l’Agriculture ont laissé des plumes à cause d’Isis-Telepac. « Isabelle Chmitelin, qui était encore directrice de cabinet de Didier Guillaume début 2020, a passé un sacré savon à la patronne de Worldline qui a été contrainte de détacher une équipe d’informaticiens pendant quatre mois supplémentaires alors que ce n’était pas prévu » explique cette source au ministère de l’Agriculture. Aux frais de CapGemini semble-t-il.

Au final, l’ASP, CapGemini et surtout les DDT qui ont accompagné les agriculteurs sur le terrain dans un contexte particulièrement difficile lié au Covid-19, auront permis d’éviter le crash en mai 2020.

Un taux de déclaration de 73,47% le 17 mai au soir

Ainsi, le dimanche 17 mai au soir, le taux de télédéclaration des agriculteurs atteignait les 73,47% pour un objectif fixé de 75%.

Dans un ultime mail adressé aux DDT, cette fois conjointement signé par Stéphane Le Moing et Valérie Metrich-Hecquet, respectivement Pdg de l’ASP et directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises, l’ASP et la DGPE confirment que « les dossiers déposés jusqu’au 19 mai minuit pourront encore être intégrés dans le premier lot d’import, sans décaler la suite du calendrier, ce qui permettra de sécuriser le calendrier d’instruction et de paiement pour un nombre encore plus grand d’agriculteurs. »

Toutefois, au ministère de l’Agriculture, certains s’inquiètent de la suite des aventures d’Isis-Telepac : « on a passé ce cap in extremis mais que va-t-il arriver quand il va falloir développer de nouvelles applications dans le système ? Cela est nécessaire chaque année. Ou pire, que se passera-t-il quand on changera de PAC à horizon 2022 ? » La suite au prochain épisode…

Actualisation : Le 24 mai au soir, un total de 276 479 dossiers étaient déposés sur Telepac, soit 79 % du nombre de dossiers signés de 2019. Par contre, seulement 18 632 dossiers ont été déposés entre le 18 et le 22 mai avec certains départements qui enregistrent un taux de dépôt inférieur à 60 %. Le deuxième train de dossiers est fixé au 31 mai avec un objectif de 95% de dossiers déposés.

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