Manque de masques, manque de blouses, manque de tests de dépistage, manque de personnel, manque de lits de réanimation. La pandémie du Covid-19 révèle la faible capacité de l’Etat à anticiper et gérer une crise sanitaire de cette ampleur.
Deux questions récurrentes illustrent à elles seules le problème : pourquoi l’Etat central ne parvient-il pas à acheter des masques alors que les Régions ou la grande distribution y arrivent ? Pourquoi l’Allemagne peut-elle pratiquer entre 300 000 et 500 000 tests de dépistage par semaine alors que la France en est loin ?
La dernière fois que l’Etat français a été en capacité de faire face à une pandémie remonte à 2009 avec la grippe A (H1N1). Mais le cataclysme annoncé n’avait finalement pas eu lieu. Et la ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, avait été clouée au pilori, notamment par les socialistes, pour excès de prudence et dilapidation des deniers publics en masques et doses de vaccins. Dix ans plus tard, inutile de préciser qu’elle est réhabilitée dans les règles de l’art.
Si l’heure des règlements de comptes et de la Justice n’a pas encore sonné dans la crise du Covid-19, sur le terrain, de plus en plus de soignants, médecins en tête, pointent la responsabilité des technocrates dans le naufrage sanitaire de la sixième puissance mondiale.
« Clochemerle dans toute sa splendeur »
Au firmament de la technocratie sanitaire à la française figurent les ARS, acronymes des Agences régionales de santé nées en 2010 dans la cuisse de la réforme HPST (hôpital, patients, santé et territoire) de la même Roselyne Bachelot.
Les qualificatifs pour décrire ces condensés de technocratie fleurissent sur la Toile en ce moment : « Clochemerle dans toute sa splendeur » pour le docteur Denis Dupuy ; « un grand pouvoir de nuisance » pour le professeur Louis Bernard, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Tours. Ce dernier raconte dans son journal de campagne le combat qu’il a dû livrer contre son ARS qui lui opposait de respecter des procédures « anachroniques » alors qu’il voulait protéger les Ehpad.
8440 personnes travaillent dans les ARS
Dans ce contexte, il est légitime de se demander qui, justement, incarne les fameuses ARS. Ces dernières sont au nombre de 18 et, fin 2018, employaient 8440 personnes dont 6715 agents publics, selon la CFDT.
Chaque ARS est dirigée par un directeur général nommé en conseil des ministres. Sorte de préfet sanitaire, ce dernier est chargé, avec ses services, de déployer régionalement la stratégie nationale de Santé publique et de réguler l’offre de soins localement. Sans nécessairement avoir à se coordonner avec le Préfet de région, ce qui a engendré d’innombrables couacs sur le terrain ces derniers mois.
Jusqu’à la crise du Covid-19 (après, on verra…), ces postes de responsables d’ARS tendaient à s’intégrer dans un vaste jeu de chaises musicales permettant à la technocratie des affaires sociales d’alterner les aller-retours entre la province et la capitale, de multiplier les expériences en régions ou de se replier en attendant une alternance démocratique à la tête de l’Etat.
Seules 4 ARS sur 18 sont dirigées par des médecins !
Premier constat, sur les dix-huit ARS que compte la France, quatre à peine sont dirigées par des médecins. Les autres sont administrées au choix par des Science-po, des énarques, des EHESP (Ecole des hautes études en santé publique), des IGAS (Inspection générale des affaires sociales). Surprenant ? Pas vraiment dans un pays où la technocratie règne en maître sur la Santé depuis la fin des années 90. Plus exactement depuis 1996, année de création de l’ancêtre des ARS, les ARH, pour Agences régionales d’hospitalisation, mises en place par les ordonnances Juppé. Par la droite, donc.
Deuxième constat, à y regarder de plus près, on observe que les principales ARS sont aujourd’hui dirigées par des anciens du cabinet de Marisol Touraine, endurante ministre de la Santé durant tout le quinquennat de François Hollande (2012-2017). Ou par des hauts fonctionnaires sur lesquels la ministre s’est appuyée tout au long de son règne avenue Duquesne.
Ainsi :
– Christine Gardel, directrice de l’ARS Normandie, a été conseillère en charge des relations avec les professionnels de santé et les acteurs du système hospitalier au cabinet Touraine.
– Etienne Champion, directeur de l’ARS des Hauts-de-France, est l’ancien directeur de cabinet de Marisol Touraine. En février 2017, François Hollande l’a recasé à la Cour des Comptes contre l’avis de son président, Didier Migaud.
– Pierre Ricordeau, directeur de l’ARS Occitanie, a été secrétaire général des ministères chargés des Affaires sociales de 2013 à 2017.
– Martine Ladoucette directrice de l’ARS Océan Indien, a dirigé le CHU de Nîmes où elle a été nommée en 2014 sur décision directe de Marisol Touraine. La communauté médicale du CHU et les élus locaux s’étaient offusqués de ce passage en force. Il faut dire qu’ils avaient présenté à l’unanimité deux autres candidats. Tout était finalement rentré dans l’ordre après quelques réunions organisées avec le cabinet Touraine.
– Michel Laforcade, directeur de l’ARS de Nouvelle Aquitaine. En 2014, Marisol Touraine avait confié à ce haut fonctionnaire ayant fait toute sa carrière dans l’administration des affaires sociales une mission sur la santé mentale et la psychiatrie.
– Au sein de l’ARS Ile de France, ce n’est pas son directeur général qui vient du cabinet de l’ancienne ministre socialiste mais le directeur général adjoint, Nicolas Péju, qui a dirigé ce cabinet à la fin de l’ère Touraine. Le directeur général de l’ARS, Aurélien Rousseau, était, lui, directeur de cabinet adjoint de Manuel Valls puis de Bernard Cazeneuve à Matignon.
– Le tout sans oublier le désormais célèbre Christophe Lannelongue, directeur de l’ARS du Grand Est jusqu’en avril 2020. Cet ancien conseiller de Marisol Touraine a récemment été limogé par Emmanuel Macron pour ses propos tenus en pleine crise du Covid-19 sur la poursuite des suppressions de postes et de lits au CHRU de Nancy.
Quand l’Union des chirurgiens de France se payait la Macronie en marche
Il n’y a pas qu’à l’échelon régional que l’on retrouve en force les réseaux du cabinet Touraine. Et pour cause : ils ont abondamment contribué au programme Santé d’Emmanuel Macron lorsque le futur Président était encore en Marche.
A tel point qu’en mars 2017, une vidéo parodique de l’Union des chirurgiens de France pointait que, chez Emmanuel Macron, on trouvait « beaucoup d’éléphants de la patrouille santé du parti socialiste » :
– Jérôme Salomon, ancien du cabinet Touraine et alors conseiller Santé d’Emmanuel Macron.
– Benjamin Griveaux, ancien du cabinet Touraine et alors porte parole d’Emmanuel Macron.
– Richard Ferrand, un des rapporteurs de la loi Santé de 2015 et macroniste de la première heure.
– Quentin Lafay, ancien conseiller du cabinet Touraine et alors coordinateur du programme d’Emmanuel Macron.
Dircab d’Olivier Véran, dircab d’Agnès Buzyn et dircab adjoint de Marisol Touraine !
C’était en 2017, dans le monde d’avant Covid… Aujourd’hui à la tête de la Direction générale de la santé (DGS), Jérôme Salomon, qui est aussi issu du cabinet de Bernard Kouchner, est secondé par Maurice Pierre Planel, ancien conseiller de Marisol Touraine pour les produits de santé qui a, lui aussi, contribué au programme d’Emmanuel Macron.
On peut également citer Thomas Deroche, actuel directeur adjoint du cabinet d’Olivier Véran chargé de la santé et qui a été le conseiller Hôpital de Marisol Touraine.
Et, bien sûr, le vétéran Raymond Le Moign, directeur de cabinet de l’actuel ministre de la Santé, ancien dircab d’Agnès Buzyn et ancien dircab adjoint de … Marisol Touraine.
Et la liste est loin d’être exhaustive.
Les politiques passent, les technocrates restent
« Emmanuel Macron a été bien naïf de conserver intacts les réseaux de Marisol Touraine qui est restée proche de François Hollande » persifle cet élu de droite atterré par la mauvaise gestion du début de la crise du Covid-19. « Mais en France, on ne pratique pas le spoil system comme aux Etats-Unis où le Président renvoie systématiquement la totalité de l’administration de son prédécesseur par souci de loyauté. Et même si Macron a donné carte blanche à ses ministres pour renouveler les troupes, ils n’ont pas osé. Peur de casser des baronnies puisqu’un ministre n’est personne sans son administration ». Ou plutôt qu’en France les politiques passent et les technocrates restent.
Même le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran, qui a remplacé au pied levé Agnès Buzyn partie se crasher dans la course à la Mairie de Paris, vient lui aussi du giron Touraine. Dès 2015, la ministre lui avait confié la présidence du comité chargé de proposer de nouvelles pistes de financement pour les établissements de santé.
La boucle est bouclée.