Des associations de défense de l’environnement utilisent la loi sur le devoir de vigilance pour contraindre des acteurs de la grande distribution et de l’agroalimentaire à s’engager à sortir du tout plastique. Une première mondiale qui a eu lieu en France.

Des images qui ont marqué les esprits. Le 30 avril 2021, deux associations de protection de l’environnement organisent une conférence de presse dans la commune de They-sous-Monfort, dans les Vosges. Le collectif Eau 88 et France Nature Environnement (FNE) veulent montrer ce qui a été découvert dès 2014 sur un terrain appartenant à Nestlé Waters et qui est resté en l’état. Filiale du géant suisse de l’agroalimentaire, cette société met notamment en bouteille et commercialise l’eau minérale Vittel.

Devant les caméras, les militants exhibent d’invraisemblables amoncellements de vieilles bouteilles en plastique qui s’étendent sur près de 1000 m2. Les déchets sont anciens, très anciens, et le modèle des bouteilles remonte aux années 70. Une autre époque…

Une fois le scandale sur la place publique, Nestlé Waters ne tergiverse pas longtemps et reconnaît quelques semaines plus tard l’existence non pas d’une décharge sur ses terres mais de… neufs dépôts sauvages ! Selon une déclaration de l’industriel à France 3 Lorraine en mai 2021, quatre sites présentent des déchets de plastique (bouteilles en PVC) et cinq autres des gravats déposés dans les années 60/70. Nestlé s’engage par la même occasion à « assainir la situation ». Et déclare dans Libération « vouloir assumer financièrement l’intégralité de l’assainissement ».

Des ONG activent la loi sur le devoir de vigilance

Les bouteilles de plastique sont, en France, le déchet que l’on retrouve le plus dans la nature, la mer et les cours d’eau. Elles constituent une menace réelle pour l’environnement et la santé humaine quand on sait qu’il faut entre 100 ans et 1000 ans pour qu’elles se décomposent. Soit entre un et dix siècles !

C’est pour lutter contre ce fléau et, plus globalement, contre la pollution au plastique, que trois ONG – ClientEarth, Zero Waste France et Surfrider Foundation Europe – ont dégainé l’artillerie lourde : le recours à la loi sur le devoir de vigilance.

Ce texte, qui a vu le jour en 2017, n’existe qu’en France et nulle part ailleurs. Il doit son origine à la tragédie du Rana Plaza, au Bangladesh, en 2013. Un immeuble abritant des ateliers de confection travaillant pour de grandes marques de vêtements occidentales s’était effondré tuant plus de mille ouvriers. Le scandale est d’ampleur mondiale et, pour une fois à l’avant-garde du combat, le législateur français accouche d’une loi dite du devoir de vigilance. Elle s’applique aux entreprises françaises d’au moins 5000 salariés en France et à celles de plus de 10 000 salariés en France mais qui ont leur siège social à l’étranger.

Ce texte de loi contraint ces sociétés à publier un plan de vigilance pour prévenir les risques en matière d’environnement, de droits humains ainsi que de corruption. Un spectre large, donc. Cerise sur le gâteau, la loi s’applique bien sûr aux activités des entreprises concernées mais aussi à celles de toutes leurs filiales, fournisseurs, prestataires et sous-traitants partout dans le monde !

Si les entreprises concernées venaient à déroger à la loi, les potentielles victimes, mais aussi les syndicats et des associations, peuvent saisir la justice qui peut alors contraindre l’entreprise à publier et à respecter un plan de vigilance digne de ce nom.

L’agroalimentaire et la grande distribution ciblés

ClientEarth, Zero Waste France et Surfrider Foundation Europe ont décidé de s’intéresser au secteur agroalimentaire et à celui de la grande distribution, grands utilisateurs de plastique devant l’éternel. Et de taper en France, pays du devoir de vigilance. C’est assez méconnu mais, en plus d’être pionnière en la matière, la France est plutôt engagée contre les pollutions au plastique. Comme le rappelle Antidia Citores, juriste et coordinatrice du lobbying chez Surfrider Foundation Europe, « la France appartient à la “coalition de la haute ambition“ qui rassemble les pays les plus ambitieux dans les négociations en cours sous l’égide des Nations Unies pour faire aboutir d’ici 2025 un Traité contre les pollutions plastiques. Paris accueillera d’ailleurs un round de négociations au printemps 2023 ». Notons aussi que la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire prévoit la fin progressive de tous les emballages plastique à usage unique d’ici à 2040 en France.

C’est dans ce cadre règlementaire en pleine mutation, que pour la première fois au monde, neuf sociétés bien connues (et appréciées) des Français ont été mises en demeure pour un manque de vigilance lié au plastique par la petite coalition d’Ong : Picard, Les Mousquetaires, Auchan, Carrefour, Casino, Danone, Lactalis, Mc Donald’s France et Nestlé France. C’était le 28 septembre dernier.

Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas

Fortes du principe que le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas, les associations demandent essentiellement à ces groupes de s’inscrire dans une posture de progrès et d’inclure dans leurs plans de vigilance une trajectoire sérieuse de déplastification.

La suite du parcours est balisé par la loi : après les mises en demeure, il y a un délai de dialogue obligatoire de trois mois entre les associations et les entreprises concernées. Ce n’est qu’à l’issue de cette période que les premières peuvent, si le dialogue a échoué, aller en justice. « Le devoir de vigilance est une procédure civile et non pénale. On ne porte donc pas plainte contre une entreprise mais on l’assigne devant le tribunal » indique Alice Elfassi, juriste de Zero Waste France.

Seul le groupe Danone se retrouve assigné

Le résultat des courses est surprenant : sur les neuf entreprises mises en demeure, une seule est finalement assignée devant la justice : le groupe Danone. Ironie du sort, c’est la seule qui s’affiche comme « entreprise à mission ».

Dans les faits, on observe que Danone préfère visiblement communiquer sur son utilisation du plastique dans des supports non contraints par la loi sur le devoir de vigilance, tels que le site web du groupe ou son rapport annuel. Selon la coalition d’Ong, le mot « plastique » ne figurerait même pas dans le texte du plan de vigilance de l’entreprise…

Vittel s’est retirée d’Allemagne et d’Autriche

Que risque judiciairement Danone ? Pas grand-chose en réalité : en cas de condamnation à l’issue d’un procès qui, s’il a lieu, n’interviendra pas avant des années, Danone aura six mois pour publier un plan de vigilance incluant une trajectoire de déplastification. C’est-à-dire de sortie progressive du plastique. Dans les faits, et à court terme, l’entreprise encoure donc plutôt un risque réputationnel. Comme Nestlé dont les images de décharges sauvages de vieilles bouteilles ont hérissé les consommateurs de Vittel en Allemagne et en Autriche où la marque n’est plus vendue.

Photo fournie par le collectif Eau 88.

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