La filière cidricole a été particulièrement frappée par la crise sanitaire du Covid 19. Jugées non essentielles par les consommateurs, les ventes de cidre se sont effondrées de 50 à 60 % en deux mois. La production nationale annuelle représente 50 millions de bouteilles pour un chiffre d’affaires tournant autour de 300 millions d’euros.

Les consommateurs de cidre paraissent avoir oublié en cette période de pandémie la fameuse formule de Winston Churchill selon laquelle « une pomme éloigne le médecin ». En Normandie, région qui, depuis le XIe siècle et Guillaume le Conquérant, concentre l’essentiel de la production (54 % du national), les producteurs de cidre en étaient à envisager – avec 200 000 hectolitres de cidre et 100 000 tonnes de pommes sur les bras – d’être bientôt réduits à arracher leurs pommiers.

Imagine-t-on sérieusement les prairies normandes sans pommiers ?

Plus que le vin en effet, ou d’autres boissons, le cidre a pâti du confinement : jugé récréatif mais pas de « première nécessité » , le cidre est consommé dans les restaurants, les bars, les crêperies, aux beaux jours à la terrasse des cafés – tous fermés – plutôt qu’à domicile.

Les touristes fort nombreux dès le printemps en Normandie constituent aussi un vecteur important de consommation. Pour cause de confinement, ils ont déserté la région. Stocker le trop plein n’est pas une solution, cela coûte cher et de toutes les façons ne ferait que repousser le problème à l’année suivante.

Que faire de la récolte 2021 ?

D’où le SOS lancé par la profession auprès des pouvoirs publics il y a déjà plusieurs semaines. Sans aucun succès, dans un premier temps. Au chevet de la bien plus influente filière vinicole pourtant moins durement frappée, les ministères de l’Agriculture et des Finances font alors la sourde oreille.

Au point de provoquer un gros coup de gueule de Thomas Pelletier, cidriculteur dans le Calvados et président de la FNPFC, la Fédération nationale des producteurs de fruits à cidre. « A Bercy, au ministère de l’Economie et des Finances, il y a une cave à vins mais certainement pas une cave à cidre. C’est inadmissible que l’on n’arrive pas à être reçu par les ministres de l’Agriculture et des Finances. Nous sollicitons 22 millions d’euros pour sauver notre filière. Des milliards sont donnés à Renault et Air France. La cidriculture fait partie du patrimoine culturel, touristique et économique indispensable au Grand Ouest », s’indigne-t-il dans « L’Agriculteur normand ».

A défaut d’être pris en considération par les pouvoirs publics, le coup de gueule de Thomas Pelletier attire l’attention des médias et de journalistes, pas mécontents d’obtenir une « autorisation professionnelle impérative de déplacement » pour le pays d’Auge. Il fait beau et l’A13 est dégagée !

Ainsi, le 13 heures de TF1 consacre-t–il un copieux reportage aux difficultés des 7 000 producteurs de cidre normands (plus de 350 entreprises !), à leurs doléances et à leur triste abandon.

Si à Bercy on préfère le champagne au cidre, on regarde quand même le 13 heures. C’est donc désormais du « vu à la télé » et il y a quand même lieu de s’inquiéter des coups de sang d’un Jean-Pierre Pernault survitaminé par le confinement. France 2, France 3 et plus d’une quinzaine de médias embrayent.

Didier Guillaume paiera-t-il sa bolée ?

C’est suffisant pour décider (enfin ?) Didier Guillaume, le ministre de l’Agriculture « à se mettre à l’écoute », selon la formule très diplomatique employée par l’un des négociateurs, lequel ajoute que la filière n’est pas « assez puissante pour intéresser Bercy ».

La rencontre se fera donc mi-mai avec le seul Didier Guillaume. Par visioconférence, Covid-19 oblige.

Mais entre temps, la filière a reçu le renfort de 14 députés normands, de 17 élus des départements bretons, d’Hervé Morin le président de la Région… Un premier accord vient d’être trouvé sur des mesures immédiates et principalement sur l’exonération de 50 % des charges patronales pendant toute la durée du confinement, donc de la fermeture administrative des bars et des restaurants. Soit sur une période de 2 à 4 mois.

« D’autres revendications sont à l’étude », précise Thomas Pelletier. Parmi les principales mesures réclamées par la profession, figure notamment l’autorisation de distiller 200 000 hectolitres afin de produire du gel hydroalcoolique. Ainsi que le retrait de 100 000 tonnes de pommes du marché, soit un tiers de la récolte.

Coût de ces mesures très attendues : 22 millions d’euros

« Plutôt que procéder à un retrait et se débarrasser de nos pommes, nous préférerions que la filière cidre soit soutenue, notamment par des campagnes promotionnelles. Le cidre a des tas de vertus, sa fabrication participe au patrimoine, c’est une production très respectueuse de l’écologie. Nous attendons des décisions positives » poursuit Thomas Pelletier.

En attendant Bercy, les acteurs de la filière ne restent pas inertes et en appellent à la solidarité de « proximité » en invitant tous les foyers normands à consommer « une bouteille de cidre par semaine ». Ce n’est pas la Manche à boire et cette modeste lampée citoyenne suffirait à éponger les excédents.

Pour ne rien arranger, le calvados (digestif) ne se porte pas bien non plus. 50 % de la production est en effet exportée et ne l’est donc plus depuis deux mois. Mais pour le « petit calva » du matin, (également 100 % pomme), la Fédération nationale des producteurs de fruits à cidre n’a pas spécifié le niveau de consommation « solidaire » recommandée. C’est qu’il ne faudrait pas froisser la gendarmerie du Calvados…

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