Actualisation : Les résultats du vote du 30 novembre dernier qui visait à élire cinq membres du Conseil de surveillance de Tereos sont les suivants :
EARL Champart, représentée par M. Rodolphe Couturier : 85 voix Pour. Non élu.
M. Christophe Dedours : 110 voix Pour. Réélu.
SA de la Maltournée représentée par M. Benoît Lhote : 169 voix Pour. Réélu.
M. Pierre Chrétien : 105 voix Pour. Elu.
SCEA Mennesson représentée par M. Jean-Jacques Mennesson : 98 voix Pour. Elu
EARL Clay, M. Gérard Clay : 92 voix Pour. Elu.
M. Bertrand Magnien : 1 voix Pour. Non élu.
M. Benoît Gandon : 1 voix Pour. Non élu.
M. Constant Thirouin : 1 voix Pour. Non élu.
Il est à noter que le taux de participation atteint presque les 100 % puisque 178 électeurs sur 181 se sont prononcés. Cela montre l’importance de l’enjeu de cette élection et plus encore… de la suivante. En effet, les 25 membres du Conseil de surveillance doivent maintenant élire le Président du Conseil de surveillance de Tereos.
Signe de l’enjeu et des tensions autour de cette élection : le vote qui était initialement prévu le 11 décembre a été brutalement reporté au 15 décembre.
La Clé des Champs ne manquera pas de revenir sur le sujet !
Article publié le 27 novembre 2020 :
L’assemblée générale de la coopérative sucrière Tereos se tiendra le 30 novembre prochain dans un contexte particulier. En raison du Covid, la campagne ne s’est pas déroulée comme à l’accoutumée et le vote sera dématérialisé. L’occasion de faire un tour d’horizon (virtuel) de la Plaine pour y prendre la température.
Orchestrées par l’agence conseil DGM, qui assiste une bonne partie du CAC 40, les annonces de résultats de Tereos sont une succession d’exploits financiers. La dernière, en date du 18 novembre, et qui concerne les résultats semestriels d’avril à septembre 2020, ne déroge pas à la règle. « Résilience du chiffre d’affaires de Tereos à 2050 millions d’euros » ; « Forte hausse de l’EBITDA ajusté à 237 millions d’euros » ; « un EBITDA glissant ajusté du Groupe qui atteint 546 millions d’euros (+30 millions) » ; « baisse de 253 millions d’euros de la dette nette du Groupe par rapport à fin septembre 2019 »…
On en oublierait presque la perte nette de 6 millions d’euros enregistrée sur la période. Tout comme la forte perte de rendement subie par les coopérateurs de Tereos. En effet, « la perte moyenne de rendement des coopérateurs Tereos est estimée aujourd’hui à -23% par rapport à la moyenne des 5 dernières années (contre 12% estimé en début de récolte) ».
C’est justement là que le bât blesse. Sur le papier, Tereos est une coopérative agricole. En clair, les coopérateurs, c’est-à-dire les agriculteurs qui cultivent la betterave, en sont en quelque sorte les actionnaires. Et le rendement des cultures est, par conséquent, une donnée importante pour évaluer la santé de la coopérative.
« C’est notre argent ! »
Or, dans la Plaine, ils sont de plus en plus nombreux à dénoncer mezza voce la dérive de leur coopérative qu’ils assimilent à une financiarisation forcée. Les plus critiques dénoncent de surcroît la confiscation du pouvoir par le Président du Directoire, Alexis Duval. Ce diplômé d’HEC a succédé à son père, Philippe Duval, en octobre 2012, à l’âge de 34 ans. « C’est nous les propriétaires de Tereos. C’est notre argent ! Et nous n’avons plus voix au chapitre » s’étrangle ce coopérateur qui souhaite garder l’anonymat après les déboires judiciaires d’autres coopérateurs qui, l’an passé, étaient en conflit avec la direction de la coopérative (cf. encadré ci-dessous).
Sur Twitter, qui sert d’agora autant que de défouloir pour la Plaine, force est de constater que la grogne est palpable. Par exemple, pour Benoît Lécuyer, agriculteur dans l’Aisne qui réagissait à l’annonce des résultats du groupe le 18 novembre : « Tereos va mieux… Pas un mot des difficultés des adhérents… de leur détresse parfois. Nous sommes la variable d’ajustement. Le prix prévisionnel des betteraves est calculé pour que Tereos Sucre France garde la tête hors de l’eau… tant pis si les adhérents coulent ».
Pour cet autre coopérateur qui ne s’exprime pas sur Twitter et requiert l’anonymat, « notre problème de fond est le niveau d’endettement délirant contracté par Tereos notamment sous forme d’emprunts obligataires. L’endettement de notre coopérative atteint près de 2,5 milliards d’euros et cette dette repose pour moitié sur nos épaules à nous, coopérateurs. C’est un engrenage infernal, on a l’impression qu’on emprunte pour rembourser les créanciers des emprunts précédents ».
« Responsables jusqu’à deux fois nos parts sociales »
Pour le coopérateur Bruno Halle (exploitant agricole non labour blé, colza, betteraves, lin textile, maïs et volailles de chair) qui s’exprime sur Twitter, la situation de la dette de Tereos ne serait plus tenable. Le 18 novembre, il estimait : « Notre coopérative Tereos va mal ! Preuve en est le dernier financement. Les banques ne suivent plus nos dirigeants ont dû emprunter 300 millions d’euros sur le marché obligataire au taux frais inclus de 8,3% (l’intérêt représente plus de 1 euro par tonne de betteraves). Ce taux nous indique que le risque sur notre coopérative est énorme ».
Et le même Bruno Halle d’en remettre une couche le lendemain : « la dette pèse trop lourdement sur la situation financière. Comment les dirigeants n’ont pas pu prévoir et préparer l’après quotas ? Une faute inexcusable qui plonge tous les coopérateurs dans des difficultés qu’ils n’auraient pas imaginées ! » Et cet autre coopérateur, Bruno Moreau, de lui répondre : « Je rappelle juste que en tant qu’associé coopérateur nous sommes responsables jusqu’à deux fois nos parts sociales » !
Qu’en est-il réellement de la situation financière de Tereos ? Pour cet analyste financier, « l’émission récente d’un obligataire à 8 % hors frais d’émission alors que les taux d’intérêt ont encore baissé en 2020 sous l’effet des liquidités massivement déversées sur les marchés financiers, montre que le groupe est, d’une manière ou d’une autre, contraint d’emprunter, même si le coût en est prohibitif. Il apparaît donc davantage subir la situation que l’anticiper. Ceci reflète la situation d’un groupe qui n’est pas encore nettement sorti de la crise. Son résultat net est encore négatif sur le premier semestre en dépit d’une amélioration forte de son EBITDA, et la dette n’est que très faiblement réduite par rapport à son niveau de fin mars 2020 qui est la date de clôture du dernier exercice écoulé. Et cette baisse est due pour moitié à une dévaluation du real brésilien qui dégonfle la dette située au Brésil ».
« Pas une situation hors de contrôle »
Pour cet autre analyste financier, au contraire, « compte tenu du contexte d’incertitude et de la volatilité actuelle des marchés, il est plutôt sage que le groupe cherche à sécuriser de nouvelles lignes de financement pour accroître sa sécurité financière, et ce d’autant que Tereos avait plusieurs échéances de remboursement entre 2021 et 2023. Dans le même temps, la dette nette du groupe a baissé depuis l’année dernière alors que le free cash flow est, lui, en hausse. Par ailleurs, la diversité des sources de financement du groupe (prêts bancaires, prêt garanti par l’Etat, émission obligataire, crédit revolving) contractés auprès des marchés ainsi que d’une dizaine de banques est aussi un signe positif. Donc, à mon sens, les indicateurs financiers de Tereos ne dénotent pas une situation hors de contrôle mais montrent, au contraire, une gestion proactive visant à améliorer la résilience du groupe ».
Dès que l’on se rapproche du monde agricole, la tonalité des discours est différente. Pour ce céréalier soucieux de porter haut les couleurs de la coopération agricole à la française, « compte tenu des échéances des remboursements obligataires et de leurs montants, je persiste à penser que le niveau de risque lié à un tel endettement est énorme. En cas de défaillance, cela aurait des répercussions catastrophiques pour le monde agricole et coopératif français. Tereos pourrait bien sûr se recentrer sur le Brésil, son autre bastion, mais qu’adviendrait-il de ses coopérateurs français qui se retrouveraient sur le carreau et criblés de dettes ? Cela pourrait aller jusqu’à impacter de plein fouet le Crédit Agricole qui est le garant et le banquier de très nombreuses exploitations agricoles françaises dont nombre de betteraviers ».
Des petits signaux qui attirent l’attention
Outre les analyses des uns et des autres, des indices tangibles d’un effondrement à court ou moyen terme n’apparaissent pas en l’état. Néanmoins, certains petits signaux attirent l’attention sur le fait que la situation financière est probablement plus tendue que ce que montrent les communiqués de la coopérative.
Le 11 mars 2020, l’agence de presse Reuters indiquait que la coopérative demandait « à ses fournisseurs des réductions de prix ». Dans une lettre adressée à un fournisseur, Tereos expliquait que « les circonstances économiques depuis la fin des quotas restent difficiles, créant par conséquent des conditions imprévisibles ». Pour se justifier, Tereos avait affirmé que cette demande « n’avait rien à voir avec des allégations de difficultés financières » mais visait à améliorer les conditions d’achats pour la coopérative.
Puis, en septembre dernier, la DGCCRF indiquait sur son site web que Tereos France s’était vue infliger une amende de 390 000 euros pour des retards dans le paiement des factures de ses fournisseurs. « L’ amende susmentionnée se rapporte à des manquements commis pendant une période antérieure à la situation d’urgence sanitaire consécutive à l’épidémie du Covid-19 » pointait de surcroît la DGCCRF.
Notons enfin la souscription d’un prêt garanti par l’Etat (plus connu sous le nom de prêt Covid) par la coopérative en juillet 2020 pour un montant de 230 millions d’euros dont 80 % sont garantis par l’Etat français.
Quid de l’outil de production ?
Outre le profond malaise que semble générer chez plusieurs de ses coopérateurs l’endettement de Tereos, l’état de l’outil industriel de la coopérative commence aussi à inquiéter. Et là, des signaux d’alerte tangibles existent. Ainsi, dans la nuit du 9 au 10 avril dernier, la digue d’un bassin de décantation de l’usine Tereos d’Escaudoeuvre s’est rompue, entraînant le déversement de quelques 100 000 m3 d’eau de lavage de betteraves dans le cours d’eau voisin. La pollution aurait ensuite rejoint le fleuve Escaut entraînant la mort de tonnes de poissons en Belgique et créant un véritable scandale. Une enquête par le parquet de Cambrai est en cours pour déterminer si l’accident industriel chez Tereos est responsable de cette catastrophe écologique. Les autorités belges en sont convaincues ; l’industriel affirme qu’il est « trop tôt pour établir de quelconques liens de causalité ». Une dizaine de plaintes contre X ont d’ores et déjà été déposées.
Puis, le 5 mai dernier une immense cuve de vinasse s’est effondrée, sans faire de blessés, sur le site de la distillerie Tereos de Val-des-Marais, dans la Marne. « Le joint de soudure de la cuve a cédé, entraînant son effondrement » avait alors indiqué le service de communication de Tereos.
Pour l’un des coopérateurs cités ci-dessus, « le manque de rationalisation et d’investissements dans l’outil de production français de la coopérative risque d’handicaper Tereos pour l’avenir. Nous ne sommes pas prêts pour la transition écologique et avons pris du retard par rapport à nos concurrents. Sudzucker a fermé Cagny en 2019 et Cristal Union a fermé Bourdon et Toury. Ils ont rationnalisé leur outil. Ils sont également entrés de plain-pied dans l’ère de la décarbonation avec moins d’usines fioul et charbon et d’avantage d’usines eau et gaz. Nous, non. Le secteur sucrier français mais aussi l’Etat, qui ne pourra pas indéfiniment aider financièrement le secteur, a besoin de sociétés ouvertes à la rationalisation industrielle. On voit que Cristal Union va chercher à évoluer en continuant de rationaliser son outil avec un partenaire ou seule. Mais Tereos ? On n’a pas de visibilité ».
Qu’est-ce qu’être une coopérative agricole au XXIè siècle ?
Les remises en cause de la gestion de Tereos qui se font entendre posent une question de fond : qu’est-ce qu’être une coopérative agricole française au XXIè siècle ? Ce modèle coopératif doit-il se réinventer pour faire face à la mondialisation des marchés ou peut-il continuer de vivre sur ses acquis ? La réponse se trouve-t-elle dans une financiarisation forcée ou au contraire dans l’invention d’un nouveau modèle ?
Les partisans d’un renouveau aiment à citer le cas du groupe Danone qui est devenu en 2020 une entreprise à missions. C’est-à-dire selon Danone, « une entreprise dotée d’une ‘Raison d’être’ et d’objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux associés, inscrits dans ses statuts et constituant sa ‘Mission’ ». Un statut pas si éloigné de celui des coopératives agricoles. Mais aussi soumis aux réalités des marchés comme le montrent les 2000 licenciements annoncés cette semaine par le Pdg de Danone.
C’est quelque part à ces questions qu’ont aussi à répondre les coopérateurs de Tereos en vue de l’assemblée générale de leur coopérative du 30 novembre prochain.
Encadré : Une actualité judiciaire chargée
Cette semaine, la Justice a rendu deux décisions importantes qui concernent Tereos. Le 26 novembre dernier, le tribunal correctionnel de Paris a rendu son verdict dans une procédure intentée par Tereos contre huit de ses coopérateurs. En mars 2019, la coopérative avait porté plainte contre eux pour dénonciation calomnieuse après que ces derniers aient porté plainte contre X auprès du parquet antiterroriste dans la désormais fameuse affaire des sacs de sorbitol retrouvés dans une cache de l’Etat islamique en Syrie. La plainte avait rapidement été classée sans suite.
Les huit coopérateurs qui étaient en conflit avec la direction ont donc été condamnés mais de façon symbolique puisqu’ils devront payer à eux huit la modique somme de trois euros à Tereos (un euro symbolique par société plaignante). Ils sont par ailleurs condamnés à 1 500 euros d’amende avec sursis.
Les deux parties ont réagi comme suit à cette décision de justice. Pour Pierre Olivier Sur et Mathias Chichportich, conseils de Tereos, « aujourd’hui la justice pénale rend à tous les coopérateurs de Tereos leur honneur. Tous avaient été sidérés de la gravité des accusations qui avaient été portées contre la coopérative. Par cette condamnation, le tribunal affirme que les huit prévenus ont agi avec une intention de nuire. Ce jugement fera jurisprudence en ce qu’il distingue les vrais des faux lanceurs d’alerte ».
De son côté, Thibault Guillemin, qui défendait les huit coopérateurs, a déclaré : « les agriculteurs sont bien sûr déçus de ne pas avoir été acquittés compte tenu de leur bonne foi dans cette affaire. Mais la peine symbolique qui a été prononcée démontre que le tribunal a bien compris le contexte de tension entre direction et agriculteurs dans lequel le procès s’est déroulé. Mes clients se réservent le droit de faire appel ».
Dans une toute autre affaire, de droit social cette fois, le 25 novembre, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi intenté par Tereos contre un arrêt de la Cour d’Appel de Paris en date du 26 mars 2019. La Cour d’Appel y condamnait Tereos à payer « la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et la somme de 240 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse » à un ancien cadre dirigeant de la coopérative licencié en mai 2014. La Cour note notamment qu’il existait « un contentieux personnel et une divergence de vue tenant aux risques encourus par certaines filiales du groupe, qu’il avait dénoncés au Président, peu avant son congé de maladie, comme la société Tereos Participations ne le conteste pas ».