La guerre de l’eau n’est plus une fiction en France. Elle oppose les industriels de l’eau embouteillée et les agriculteurs à des collectifs de citoyens engagés et chaperonnés par de puissantes ONG. Enquête sur la mobilisation citoyenne hétéroclite qui s’est constituée à Volvic pour lutter contre Danone.

Quel est le point commun entre le descendant d’une grande famille auvergnate du 16è siècle, un maraîcher membre de la Confédération paysanne, le président d’une association défendant le cadre de vie de trois communes du Puy-de-Dôme, une grande ONG nord-américaine militant pour l’abolition de l’eau embouteillée et le président de plusieurs associations de défense de l’environnement dans les Vosges ?

Bien que poursuivant des objectifs différents, ils ont tacitement uni leurs forces pour dénoncer l’accaparement à des fins commerciales de la ressource en eau en Auvergne. Dans leur ligne de mire : la marque d’eau minérale Volvic, propriété du groupe Danone et, dans une moindre mesure, la coopérative agricole Limagrain.

Quatre leviers de mobilisation ont été activés par ces militants-citoyens du nouvel ordre climatique qui ne sont d’ailleurs pas tous des écolos dans l’âme : les médias, l’opinion publique, les marchés et les élus. Leur union est en train de payer. Cet été, les articles ont fleuri dans presque tous les médias grand public : Le Monde, Mediapart, Les Echos, France Info, France 2, TF1, M6, Arte, Europe1, Euronews ainsi que des médias allemands et même deux chaînes de télévision autrichiennes. Une démonstration de force que peu d’industriels ou d’organisations agricoles sont en passe d’atteindre.

« On nage en eaux troubles »

Tous ces médias ou presque ont convergé vers le centre névralgique de cette mobilisation citoyenne : la belle pisciculture de Saint-Genest L’Enfant, dans le Puy de Dôme. Elle est la propriété (et la fierté) d’Edouard de Féligonde, 56 ans, acheteur industriel en Asie et descendant d’une grande famille de la noblesse française. « De Féligonde, ça vient du latin Felix Onda, qui veut dire eau féconde. Nous sommes nés dans l’eau et ce n’est pas pour nous retrouver à marée basse comme maintenant » expose-t-il d’emblée. « Ma pisciculture existe depuis 1651 et c’est mon ancêtre Gabriel de Féligonde qui en a fait une pisciculture industrielle en 1850. Mais les sources étaient déjà connues des Romains et, au 13è siècle, les moines de l’abbaye de Mozac y élevaient des truites. J’en suis le gardien et assister à la destruction d’un monument historique au nom du fric m’est insupportable. Depuis 1851, la propriété est ouverte gracieusement au public. Fermer un site où 10 000 enfants viennent chaque année apprendre à pêcher est un véritable déchirement. Mon chiffre d’affaires était de 2,3 millions d’euros/an. On faisait 60 tonnes annuelles de truites et six personnes y travaillaient à temps plein ».

Edouard de Féligonde a dû fermer sa pisciculture en 2018. Depuis, celle-ci se détériore inexorablement. La raison en est aussi simple que tragique : l’eau ne coule plus, ou presque. Pour lui, pas de doutes, le coupable est la Société des Eaux de Volvic, la SEV, propriété du groupe Danone qu’il accuse de pomper trop d’eau pour remplir les bouteilles de Volvic.  « C’est d’autant plus injuste que les sources de Volvic sont chez moi. Pas chez eux ! Mon but n’est pas de taper Danone. Je n’ai rien contre cette entreprise en soi. Mais faire sciemment du business au dépend des autres n’est vraiment pas correct. Lorsque l’on constate qu’en plus c’est avec la complicité de l’Etat, c’est comme assister à un spectacle d’Houdini. Sauf que ce magicien n’a jamais fait de tort à qui que ce soit. Comme toutes les personnes de ma génération, je n’ai jamais été éduqué dans l’écologie. Mais en voyant ce site, classé Monument historique, se détériorer, je ne peux que constater les méfaits de l’homme sur la nature. Je demande juste que l’eau recoule et que l’on restaure ma pisciculture afin que cette histoire vieille de 370 ans puisse bénéficier aussi aux générations à venir. Il est temps que l’Etat, les collectivités territoriales, à l’origine aussi d’un vaste gâchis d’eau, et Danone réparent leurs méfaits. Je ne connais pas la définition d’un écocide mais les trois sources qui sortent de ma propriété irriguent tout l’aval, jusqu’à l’Allier. Pour cette zone aussi, c’est un véritable désastre. Et tout cela pour mettre de l’eau en bouteille. Mais où va le monde avec cette privatisation de l’eau ? A quand l’air de la campagne auvergnate en flacon ? » s’indigne-t-il.

De son côté, le groupe Danone, qui ne nie pas le problème de sécheresse « que subit l’Auvergne depuis plusieurs années » nie toute corrélation entre son activité à Volvic et le manque d’eau chez M. de Féligonde. Ainsi, en réponse au tweet d’un maître de conférences de l’université Clermont Auvergne, le 1er septembre 2020, Danone France faisait savoir que « les quantités prélevées sont toujours en deçà des quantités autorisées par arrêté préfectoral. Nous partageons ces données avec les autorités locales avec qui nous collaborons au quotidien et avec qui nous avons mis en place un comité de suivi dédié ». Avant d’ajouter : « Au-delà de notre activité, c’est toute la ressource en eau d’un territoire qui est protégée via les actions de Volvic et de nos partenaires pour garantir une gestion durable et raisonnée de la ressource et toutes les énergies sont les bienvenues pour y contribuer ».

Parce qu’il a les moyens de se défendre, Edouard de Féligonde a recruté l’avocate parisienne Corinne Lepage, réputée depuis toujours pour son implication en faveur de l’écologie. Et porté l’affaire devant les tribunaux. En bonne tacticienne, maître Lepage dénonce une connivence entre l’Etat et l’industriel. Un sentiment qu’Edouard de Féligonde résume laconiquement d’un « on nage en eaux troubles ». « Il y a eu plusieurs réunions consacrées à la pisciculture d’Edouard de Féligonde organisées entre les représentants de l’Etat, de Danone et des syndicats locaux sans que M. de Féligonde y soit convié ou puisse y assister malgré des demandes répétées » abonde l’avocate.

Courant 2018, Corinne Lepage a obtenu de la Justice la nomination d’un expert chargé de déterminer qui est responsable du manque d’eau dans la pisciculture de M. de Féligonde. Le rapport est attendu pour le mois de février 2021 et s’annonce décisif pour la suite du dossier.

« Changer le système, pas le climat »

A des années lumières idéologiques d’Edouard de Féligonde, se situe Laurent Campos-Hugueney. Cet ingénieur, ancien fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, a démissionné pour se reconvertir par conviction dans le maraîchage biologique dans la région de Clermont-Ferrand. Il est fier de « nourrir 300 personnes » grâce à son travail.

Membre de la Confédération paysanne et administrateur du syndicat agricole pour le Puy-de-Dôme, il affirme d’emblée « ne pas vouloir stigmatiser Volvic qui n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une gestion abusive et incontrôlée de l’eau par les autorités ». Tout autant que Volvic, la coopérative Limagrain figure sur la liste avec « sa retenue de 4,7 millions de mètres cube d’eau construite en 1994 avec des fonds publics pour le bénéfice de 200 agriculteurs sous contrat avec Limagrain alors que le Puy-de-Dôme compte plus de 6000 agriculteurs ».

Pour lui, le déclic militant a eu lieu lors de la sécheresse de l’été 2019 qui a frappé l’Auvergne, considérée comme le « château d’eau de la France » dans l’inconscient collectif. « Des professionnels comme des maraîchers se sont vus interdire d’arroser leurs cultures alors que Volvic conservait le droit de remplir ses bouteilles et de les exporter à l’autre bout du monde. Tout est parti de là : où sont les priorités en période de restrictions d’eau ? » se remémore Laurent Campos-Hugueney. « Quand l’eau était abondante, personne ne voyait de problème à ce qu’industriels et agriculteurs puisent sans contrôle ni limites avec la bénédiction des autorités ».

En septembre 2019, Laurent Campos-Hugueney participe à la création du collectif Eau Bien Commun 63 (EBC 63) dont il est aujourd’hui le porte-parole. Le collectif fédère une vingtaine d’associations citoyennes et environnementales allant des sections locales d’Attac à La Ligue des droits de l’homme en passant par Extinction Rebellion ou encore la Fédération de pêche ainsi que la Confédération paysanne du Puy-de-Dôme. « L’eau est un sujet fédérateur qui nous a réuni et l’union fait la force pour peser sur les politiques comme sur les industriels » commente-t-il.

Les jeunes seraient les plus engagés et les plus actifs, notamment ceux d’Alternatiba 63, « un mouvement citoyen local pour le climat et la justice sociale dans le Puy-de-Dôme » selon la page Facebook de l’association qui prône de « changer le système, pas le climat ».  

La grande famille Eau Bien Commun

Le collectif EBC63 appartient à la grande famille de la coordination Eau Bien Commun France qui a officiellement vu le jour en février 2016 et qui est très active en Ile-de-France et dans la région PACA. Cette coordination refuse la privatisation de l’eau ainsi que sa marchandisation. Elle lutte également « pour l’application, la défense, la promotion et le développement tant en France que partout ailleurs dans le monde, du droit humain fondamental à l’eau et à l’assainissement reconnu par l’ONU », selon ses statuts. Enfin, elle défend une gestion de l’eau par les pouvoirs publics et selon les usages.

Les débuts du collectif EBC63 sont laborieux. « Pour être pertinents, il a fallu se documenter, s’informer, chercher des études scientifiques sur la problématique de l’eau. Ca a été difficile tant l’information est verrouillée par Volvic et tant Limagrain est opaque » relate Laurent Campos-Hugueney.

Puis, peu à peu, un consensus émerge au sein du collectif : puisque les industriels agissent avec l’accord de l’Etat, l’angle d’attaque doit être le respect, par l’Etat, de la loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA) de 2006.

Texte capital pour les années à venir bien qu’adoptée à un moment où l’eau ne manquait pas, cette loi priorise les bénéficiaires de la ressource. La priorité numéro un revient aux « exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau de la population ». Suivent en deuxième « les exigences de la vie biologique du milieu récepteur ». Puis en troisième, la conservation et le « libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ». Et enfin, donc en dernier, l’agriculture, les pêches et les cultures marines, la pêche en eau douce, l’industrie…

Or, pour le collectif EBC 63, dans les faits, c’est tout l’inverse qui prévaut avec une priorité accordée de facto aux industriels par l’Etat. « Pour préserver leurs positions et leurs autorisations de prélèvements, les industriels font du chantage à l’emploi. Mais de quels emplois parle-t-on » s’énerve Laurent Campos-Hugueney. « Ces emplois peuvent-ils être durables alors qu’ils reposent sur une ressource non durable ? La réponse est non, évidemment ».

Pour le militant de la Confédération paysanne, seule une mobilisation citoyenne est de nature à suffisamment peser pour contraindre les pouvoirs publics à faire appliquer la loi de 2006. Mais là encore, il se heurte au poids des habitudes. « Un seul exemple » poursuit-il, « en mars 2020, la préfecture du Puy-de-Dôme a réuni le Comité Départemental de l’Eau pour réviser l’arrêté-cadre sècheresse. Ce texte servira de base aux futurs arrêtés locaux pour les prochaines sècheresses. Seules la Confédération paysanne, la Fédération de la pêche, France Nature Environnement et l’UFC Que Choisir, avec un représentant chacune, étaient conviées. Aucun collectif de citoyens. Par contre, les représentants des irrigants agricoles et de l’agriculture industrielle à l’exportation, dont la FNSEA, comptaient une dizaine de représentants. Les industriels, eux aussi, étaient bien lotis. C’est ça qu’il faut changer ».

Une alliance opérationnelle Volvic-Vittel

Troisième acteur clé de cette mobilisation citoyenne qui a pris autour de Volvic, la petite mais très dynamique association PREVA (Protection des Entrées sur les Volcans d’Auvergne). C’est même elle qui a permis de donner à la guerre de l’eau à Volvic une visibilité nationale et européenne. Pourtant, à l’origine, rien ne la prédestinait à dépasser les frontières de l’Auvergne.

Créée en mars 2018, PREVA a initialement pour vocation de protéger le cadre de vie des habitants d’une zone géographique précise, incluant les paisibles communes de Mozac, Malauzat et Marsat, à l’entrée Nord de la chaîne des Puys. Elle est présidée par Jacky Massy et compte des membres comme François Dominique de Larouzière, un géologue réputé, Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et Denis Chevalier, ingénieur biologiste. Son premier combat ? Dénoncer l’extension d’une zone commerciale et de ses voieries afférentes qui polluaient la vie des habitants des alentours.

Mais, sècheresse oblige, tout autant que les ballets de camions, le manque d’eau perturbe la vie locale. De plus, la pisciculture d’Edouard de Féligonde se trouve à Malauzat. Et, même s’il n’a pas rejoint PREVA ni EBC63, M. de Féligonde entretient de bonnes relations avec toutes les associations de défense de l’eau et de la biodiversité ou encore agricoles.

Avec l’aggravation de la sécheresse dans la région, le président de PREVA, Jacky Massy, rejoint le collectif Eau Bien Commun 63. « L’association et les collectifs citoyens mobilisés qui l’accompagnent considèrent l’eau comme un bien commun. L‘objectif recherché est d’obtenir une gestion durable de la ressource eau dans le respect de la loi LEMA de 2006 » souligne-t-il.

Puis, courant 2020, Jacky Massy prend une décision stratégique : nouer une alliance opérationnelle avec les acteurs de la campagne en cours contre Vittel, une des marques Eau du groupe Nestlé, dans les Vosges. A Vittel, le leader de cette campagne est Jean-François Fleck, porte-parole du collectif Eau 88 et président de Vosges Nature Environnement.

Plus encore qu’à Volvic, c’est une guerre de l’eau sans merci qui est livrée depuis plusieurs années à Nestlé et à sa marque Vittel accusée, elle aussi, de pomper trop d’eau au nez et au robinet des populations locales. Et qui a inspiré PREVA dans la médiatisation tous azimuts pour dénoncer Danone à Volvic.

Outre une médiatisation mondiale de leur cause, les militants vosgiens sont parvenus à judiciariser le dossier grâce au sacré coup de pouce apporté par l’association de lutte contre la corruption, Anticor. Dès 2016, son administrateur Marcel Claude signale au parquet d’Epinal un possible conflit d’intérêt de la part d’une conseillère départementale. Cette dernière préside alors la CLE, la Commission locale de l’eau, qui planche justement sur des solutions pour remédier au manque d’eau. Problème, son époux est alors un cadre de Nestlé et Marcel Claude d’Anticor subodore que cela aurait pu influencer certaines prises de positions de madame.

Après maintes péripéties judiciaires, dont un dépaysement du dossier, la conseillère départementale sera finalement jugée pour prise illégale d’intérêts. Le procès devait se tenir à Nancy en décembre dernier mais il a été reporté à septembre 2021.

Nestlé en difficulté en Amérique du Nord

Cette guerre de l’eau à Vittel s’inscrit dans un combat plus large qui cible les activités Eaux du groupe Nestlé (Nestlé Waters) aux quatre coins de la planète. L’affaire n’est pas mince quand on sait qu’en 2019 Nestlé Waters pesait 7,8 milliards de CHF (francs suisses) pour 48 marques d’eau sur les cinq continents.

Mais, petit à petit, les coups de boutoir font plier la multinationale suisse. En juin 2020, Nestlé annonce explorer « des options stratégiques pour certaines parties de ses activités en Amérique du Nord ». Options stratégiques qui pourront aller jusqu’à « une vente potentielle, pour la majorité des activités de Nestlé Waters en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), à l’exclusion de ses marques internationales ». Le choix d’un possible désengagement en Amérique du Nord n’est pas anodin : il s’agit du berceau des mouvements voulant abolir le commerce de l’eau en bouteilles.

Un blog français aussi engagé que bien renseigné rend compte au jour le jour de cette guerre mondiale. « L’eau qui mord » se présente comme « un support libre et indépendant de toute association ou mouvement politique », « solidaire du Collectif Eau 88 en lutte contre la surexploitation de l’eau dans le secteur Vittel-Contrex ».

Par exemple, en octobre dernier, la publication annonçait que « dans le comté de Wellington – Canada, la tentative initiale de Nestlé de vendre la marque de bouteilles d’eau Pure Life à Ice River Springs a échoué. Les défenseurs de l’eau, dont les Wellington Water Watchers, exigent de Nestlé Water Canada que l’usine d’Aberfoyle, les puits d’Erin et Elora (Pure Life) revienne en propriété publique ».

« 17 766 087 personnes qui empêchent les grandes entreprises de se comporter de manière irresponsable »

Ces succès galvanisent Jacky Massy et l’association PREVA qui voient là l’occasion de faire avancer leur cause à Volvic. « On est en contact régulier avec Jean-François Fleck et ses équipes à Vittel. Le 12 octobre dernier, ils sont venus nous voir à Volvic. Ce n’est qu’un début. On veut faire une alliance mondiale à terme avec d’autres sites » s’enthousiasme-t-il. « La prochaine étape pourrait bien être de s’allier avec les associations qui dénoncent les agissements de Coca-Cola qui possède l’usine d’embouteillage d’eau minérale de la marque ViO à Lüneburg, en Allemagne ».

Outre des conseils et retours d’expérience ayant fait leurs preuves à Vittel, PREVA a dorénavant accès, si besoin, à de puissants outils de campagne. C’est par exemple le cas des sondages et pétitions de SumOfUs, une structure militante spécialisée dans les pétitions à large échelle dont le collectif Eau88 est partenaire et qui se présente comme suit : « SumOfUs c’est 17 766 087 personnes qui empêchent les grandes entreprises de se comporter de manière irresponsable ».

En 2019, SumOfUs a lancé une pétition mondiale pour mettre un terme à un projet de pipeline visant à approvisionner en eau 30 000 habitants pour pallier aux prélèvements de Nestlé dans la nappe phréatique de Vittel. La pétition a très exactement récolté 233 672 signatures dans le monde !

Avec une conséquence radicale annoncé par SumOfUs le 2 octobre 2019 : « Victoire ! L’État français vient en effet de mettre un coup d’arrêt à la voracité de Nestlé. L’Agence de l’eau et l’État ont appelé à abandonner le principe des transferts d’eau via des pipelines autour de Vittel. (…) La mobilisation des ONG et de la société civile a fait vaciller le géant suisse ! »

Connaissez-vous les Communautés Bleues ?

L’alliance entre les militants-citoyens de Vittel et de Volvic permet également à PREVA de bénéficier des conseils d’un mouvement nord-américain autrement plus puissant que tous les collectifs citoyens réunis en France : les Communautés Bleues. Des représentants de ce mouvement ont même traversé l’Atlantique courant 2020 pour se rendre à Vittel et apporter leur soutien de façon visible à la cause.

Créées en 2009, les Communautés Bleues, qui se veulent à la fois une idéologie et des actions sur le terrain, affichent trois objectifs : la fin de l’eau en bouteilles, la gestion publique de l’eau (par l’Etat et non par des privés) ainsi que la reconnaissance de l’accès à l’eau comme un droit de l’Homme en application de la résolution des Nations Unies du 28 juillet 2010.

Elles ont été créées par trois entités nord-américaines : le Conseil des Canadiens, né en 1986 pour lutter contre l’ALE, le traité de libre-échange entre le Canada et les Etats-Unis ; le Syndicat canadien de la fonction publique qui regroupe 700 000 membres et le Blue Planet Project.

Cette dernière organisation, assez opaque et enregistrée dans l’Etat américain du Delaware qui est considéré comme un paradis fiscal, est notamment financée par de grandes fondations américaines comme la Rockefeller Brothers Fund, le Wallace Global Fund, la Fondation Tides. Surprise, en compilant la presse américaine, on découvre que le Blue Planet Project a même été soutenu par la Fondation Leonardo DiCaprio, du nom du célèbre acteur hollywoodien, lorsque la ville de Los Angeles a été certifiée Communauté Bleue !

Anne Hidalgo fait de Paris une Communauté Bleue

Une femme apparaît comme clé dans ce dispositif : l’activiste canadienne Maud Barlow aujourd’hui âgée de 73 ans qui a fait de l’eau pour tous un leitmotiv autant qu’un droit de l’homme inaliénable. Co-fondatrice du Conseil des Canadiens, elle est en outre à la tête des ONG Food & Water Watch et du Blue Planet Project. Maud Barlow connaît bien la France pour y avoir donné des conférences en partenariat avec le mouvement national Eau Bien Commun.

Il faut dire que l’Hexagone apparaît comme une terre promise pour les Communautés Bleues qui y ont remporté une victoire majeure en 2016. En effet, Anne Hidalgo, la maire de Paris, a accepté que la capitale rejoigne cette alliance. Au même titre que Los Angeles, aux Etats-Unis, Berne, en Suisse, ou Bruxelles, en Belgique.

Pour obtenir cette certification, la Ville de Paris a dû montrer patte blanche en matière de réduction drastique de l’utilisation de bouteilles en plastique dans les bâtiments publics, la reconnaissance d’un droit à l’eau avec, par exemple, la création d’un tarif spécial pour les ménages les plus modestes ou la promotion de la gestion publique de l’eau.

Depuis, les Communautés Bleues tentent activement de convaincre d’autres villes françaises de rejoindre leur réseau en soumettant leurs propositions à des candidats à des élections municipales.

Dans les combats qu’ils ont en commun, les Communautés Bleues et Eau Bien Commun peuvent compter sur le parti politique dirigé par Jean-Luc Mélenchon. La France Insoumise (LFI) s’est en effet alignée de longue date sur la ligne d’Eau Bien Commun, notamment à l’Assemblée Nationale.

Ainsi, en décembre 2017, le groupe LFI y déposait une proposition de loi constitutionnelle pour que l’accès à l’eau devienne un droit inaliénable. En juin 2018, une mission d’information relative à la ressource en eau était menée par le député LFI Loïc Prud’homme qui remettait le couvert deux ans plus tard avec une mission d’information sur la gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau.

Puis, le 10 avril 2019, le groupe LFI déposait une proposition de loi (n°1852) visant à « interdire de prélever dans un aquifère davantage que ce qu’il peut reconstituer naturellement ».

Comme le révèle Laurent Campos-Hugueney, du collectif Eau Bien Commun 63, « fin janvier, nous avons été informés d’une demande d’ouverture imminente d’une enquête parlementaire sur la privatisation de l’eau. Elle est à l’initiative du groupe parlementaire de La France Insoumise. Si elle est autorisée, cette enquête parlementaire doit s’intéresser à la situation dans le Puy-de-Dôme, avec auditions sous serments des différents acteurs ».

Emmanuel Macron bannit les bouteilles d’eau du Château 

Cette idéologie opposée au commerce de l’eau en bouteilles essaime dans l’opinion publique mois après mois. Et infuse même au plus haut niveau de l’Etat. Ainsi en février 2020, l’Elysée annonçait adopter vingt mesures « écoresponsables » dont la suppression des 220 000 bouteilles en plastique d’eau consommées chaque année au Château.

Certes, il s’agit d’abord d’une opération de communication mais l’idée sous-jacente était d’affirmer que l’exemple doit venir d’en haut. De là à ce que l’accès à l’eau devienne un des grands sujets Ecologie de la présidentielle de 2022, il n’y a qu’un pas.

En attendant, la guerre de l’eau continue de s’étendre sur le sol français au-delà de Volvic et de Vittel. Le collectif de journalistes indépendants basé à Lyon « We Report », qui a enquêté en profondeur sur les pratiques de Danone et de Nestlé, annonce dans Mediapart une série d’enquêtes baptisée « Water Stories ». Organisée comme une campagne à l’anglo-saxonne, celle-ci s’étendra sur tout 2021.

Bien documentée, la première enquête de l’année est consacrée au groupe Roxane (champion tricolore des eaux régionales), accusé de pollution chronique dans le département de l’Orne. Les industriels de l’eau en bouteille n’ont qu’à bien se tenir car ça va cogner.

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